Interview avec Sébastien Blémon, réalisateur de "Les rêves ne meurent jamais" avec Yannick Bestaven, vainqueur du Vendée Globe.
Mon message est très simple : certes le monde n’est pas dans un super état, mais il ne faut pas s’arrêter de rêver et de vivre ! Tout est possible.
♦ Comment avez-vous eu l’idée de ce film ?
En fait, j’en parlais récemment avec ma mère, c’était un rêve de gamin. Je voulais faire un long-métrage sur les gens extraordinaires qui avaient réalisé leur rêve. Je ne le formulais pas de cette manière, mais la question était là : qu’est-ce qu’ils ont de plus ? Cette question m’a toujours fasciné, c’est une passion, j’ai lu tous les livres et vu tous les documentaires qui traitent du sujet. Puis avec la vie, les études, le boulot, les enfants, cette envie de film partait et revenait. Je savais qu’un jour je le ferai.
♦ Qu’est-ce qui vous a fait passer à l’acte ?
Le confinement, que j’ai mal vécu, a été le déclencheur. Interrogées sur leurs rêves, mes filles m’ont répondu « Comment veux-tu qu’on ait des rêves au vu de la conjoncture ? » Non seulement en France, on ne se lance pas par peur de l’échec, mais en plus les jeunes n’ont plus de rêves !? Et c’est mondial… L’idée du film s’est remise à me gratter de tous les côtés, et je me suis donné comme mission de refaire briller les yeux des gamins en leur montrant des gens très différents qui vont au bout de leurs rêves. J’ai écrit 200 pages, avec l’idée de réaliser un format de 52 minutes sur le sujet, or le film dure 100 minutes. La réalité est que rien ne s’est passé comme je l’imaginais !
♦ L’accomplissement de Yannick Bestaven, vainqueur du Vendée Globe, est le fil rouge du film. Vous êtes un fan de voile ?
Pas du tout ! Ce qui m’a intéressé ce n’est pas la course à la voile, c’est l’homme, c’est l’aventure qui prend aux tripes. Il s’est trouvé que parallèlement à la résurgence de cette envie de film, Yannick, qui est l’un de mes meilleurs amis, était parti pour faire la course du Vendée Globe. Qu’il gagne ou pas, je m’en fichais : le tour du monde à la voile en solitaire, c’était son rêve, et une revanche à prendre sur 2008, lorsqu’il avait démâté quelques heures après le départ. Je me suis dit que ce serait chouette qu’il soit le fil conducteur du film pour montrer que l’on n’accède pas à ses rêves simplement en claquant des doigts. Yannick m’avait demandé de concevoir un petit documentaire pour montrer son vécu de la course, il avait embarqué des caméras, j’avais donc de la matière… Et bam, il gagne le Vendée Globe ! Tout s’est enchaîné ensuite.
♦ Comment avez-vous effectué le reste du casting ?
Yannick a visé la Lune, il a décroché les étoiles. J’avais sélectionné des profils de gens comme le sien qui m’intéressaient : Daniel Auteuil, comédien immense qui n’a jamais voulu être acteur mais chanteur d’opérette, ou Philippe Croizon qui n’aurait jamais tenté sa traversée de la Manche sans son terrible accident… Yannick m’a aidé à les contacter, on a juste osé : Allez j’y vais, j’appelle ! Nous n’avons eu qu’un seul refus de Tony Parker qui préfère n’apparaître que dans ses propres films.
♦ Vos filles sont dans le film ?
Oui j’avais envie qu’elles y soient, il me semble que je leur devais ça. On avait énormément parlé de leurs rêves pendant le confinement, ça les a stimulées à y réfléchir. Leurs apparitions constituent des ponctuations poétiques, avec une musique que l’on a beaucoup travaillée. Elles m’ont montré qu’elles étaient fières du résultat et que le fait de les négliger pendant 9 mois n’a pas laissé de traces négatives.
♦ Vous dites que vous avez passé 9 mois sur ce projet, c’est comme une grossesse, vous leur avez fait un petit frère en quelque sorte…
J’ai réalisé entre 100 et 150 films publicitaires de 30 secondes et un format court pour le don d’organe, mais un long-métrage ce n’est pas du tout le même travail ! Ça a été un boulot de dingue que je ne connaissais pas : gérer les droits, le juridique, le social, organiser le tournage, la logistique, la prise de son, les caméramen… puis le montage, le mixage, l’étalonnage… Avec ma toute petite équipe de Symaps Production, nous avons passé des nuits blanches à dérusher, j’ai dû dormir 3 à 4 h par nuit pendant 9 mois. C’était le temps que j’avais décidé de m’offrir, mais c’était limité, je ne pouvais pas m’octroyer plus. J’ai donc laissé les clés de l’agence à mes collaborateurs, tandis que mes proches se sont sentis mis sur le côté. Je suis papa poule de nature, mais là pour la première fois j’accordais plus d’importance à mon projet, qui m’a totalement happé. Pour réaliser un film comme ça il faut une part d’égoïsme, tu le payes sur la vie privée.
♦ Et matériellement, ça se paye comment ?
Ça coûte très cher : au minimum 500 000 €, et encore c’est le point mort. J’ai regardé les aides du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), c’était beaucoup de dossiers administratifs, ça allait prendre trop de temps… Alors j’ai misé sur ma « bonne gueule », j’ai pris mon bâton de pèlerin et j’ai démarché les entreprises, les associations comme Excelia et les collectivités en proposant un « pack » qui comprend la location d’une salle de cinéma, une projection, un temps de présentation et de questions-réponses. Ça a bien marché. Mais le but n’est pas de gagner de l’argent avec ce film, la question de départ c’était plutôt : combien on est prêt à perdre ?
♦ « Les rêves ne meurent jamais » a été présenté dans 102 villes en France, dans les cinémas CGR et dans d’autres cinémas, au mois de décembre. Il continue sa vie ?
Oui nous avons de nombreuses commandes et de nouveaux projets de diffusion. Or nous ne visons pas forcément que le ciné ou la télévision mais plutôt un engagement, comme l’a fait Excelia. Notre objectif numéro 1 est d’utiliser le film comme un outil pédagogique et de pouvoir le montrer au plus grand nombre de jeunes possible. Nous sommes en train de monter un format de 20 minutes pour les écoles primaires, un autre de 52 minutes pour les collégiens et le long-métrage pour le lycée et le supérieur. Une version internationale est en cours de montage avec des beaux projets qui se dessinent. Depuis sa victoire, Yannick a reçu 600 demandes d’écoles pour venir témoigner. Il me dit qu’il adorerait, mais ce n’est pas possible, on ne pourra pas être partout.
Nous envisageons de donner le film à l’Éducation nationale, nous cherchons à obtenir un rendez-vous avec Jean-Michel Blanquer. Il paraît que le président de la République et la ministre de la Mer ont vu le film et l’ont aimé.
♦ Pensez-vous à réaliser un autre film ?
Je n’en sais rien, ce n’est pas une obsession. Le film pour le don d’organes, celui-ci pour défendre le droit d’aller au bout de ses rêves, ce sont des causes. Il faut que ça ait du sens. Sinon je ne fais pas.
♦ Un message à faire passer à la communauté Excelia ?
L’objet du film n’est surtout pas de donner une leçon de morale ou de performance.
Personnellement, je retiens une leçon de vie. En 9 mois j’ai appris à faire un film, j’ai appris de gens qui m’ont élevé, qui m’ont fait grandir et ouvrir les yeux sur certaines choses pour lesquelles je n’avais pas « fait le travail ». Bref, j’en sors beaucoup moins bête que je n’étais…
Mon message est très simple : certes le monde n’est pas dans un super état, mais il ne faut pas s’arrêter de rêver et de vivre ! Tout est possible.