Cette année 2020 est celle de l’accélération.
Le contexte sanitaire nous a imposé de basculer dans une ère nouvelle ; nous surpasser en étant créatifs.
Alors que nous mettions beaucoup de freins et d’appréhension à mettre en œuvre certains dispositifs, comme l’enseignement à distance ou le télétravail, notre adaptation rapide à un environnement en turbulence a accéléré la métabolisation dans nos propres pratiques de nouvelles manières de concevoir nos métiers. Beaucoup de choses complexes et problématiques pour lesquelles nous mettions du temps à avancer, comme le télétravail ou l’enseignement à distance ont été rendues possibles en quelques heures.
Cela m’évoque deux dimensions essentielles du changement.
En premier lieu, c’est l’importance des motivations extrinsèques pour la créativité i.e. les mutations de l’environnement qui nous poussent à créer des choses nouvelles, à changer.
Ensuite, et c’est souvent une dimension qu’on occulte des nouveaux business models que furent en leur temps Microsoft ou Apple, ou plus récemment Google, Amazon ou Facebook : être mis devant le fait accompli. En cassant les codes, les règles établies, ou encore les usages ; avec toute la vertu que peut véhiculer l’innovation et toutes les dérives que peut entraîner la transgression. Les enseignants-chercheurs connaissant bien le concept de « publish or perish ».
Ici, le « change or perish » s’est imposé comme principe majeur de réactivité. Pour ne pas rater le changement, qui dès lors qu’il est embrassé et réussi, devient une opportunité pour explorer de nouveaux axes de progrès.
Le nouveau système de contraintes dans lequel nous devons évoluer nous a engagé dans des pratiques nouvelles, et un environnement nouveau :
- Nous sommes capables d’enseigner pleinement en distanciel, de manière synchrone ou asynchrone. Comme tout engagement dans la nouveauté, tout reste perfectible. Notre capacité à nous projeter dans une démarche de progrès continu, tout comme celle à intégrer des boucles itératives d’apprentissage en s’appuyant avec recul et hauteur d’analyse sur les enseignements que nous pouvons tirer des expériences vécues, vont donc devenir essentielles.
- De nouveaux acteurs sont apparus dans notre environnement proche, avec lesquels il va falloir compter et composer. Ces nouveaux acteurs, les EdTech, impliquent certainement de repenser, d’envisager autrement notre chaine de valeurs. En proposant des alternatives, notamment sur les dimensions spatiales et temporelles, mais également sociales de nos activités. Des solutions nouvelles émergent, des comportements nouveaux apparaissent, et la capacité collective – en tant qu’organisme vivant et organisation apprenante – à métaboliser cette nouveauté au service de la trajectoire de développement collégiale que nous envisageons, est primordiale.
A une période de confinement et de distanciel forcé a succédé une période non moins incertaine – cette rentrée 2020 – qui prolonge l’expérimentation en imposant la mise en place d’un modèle essentiellement hybride. C’est un pas de plus vers une nouvelle normalité, un « next normal ».
Et c’est justement le design de ce qui deviendra le nouveau normal de demain qui se joue aujourd’hui : que souhaitons-nous construire ensemble ?
Les enjeux sont très importants car ils posent la question de l’enseignement au management de demain.
Comment va évoluer l’enseignement supérieur dans son ensemble, dans le monde ?
Comment les Grandes Ecoles vont se transformer pour rester compétitives et tenir leurs promesses d’excellence et d’employabilité ?
C’est l’objet du nouveau plan stratégique 2025 d’Excelia. Mon rôle est de conduire la réflexion sur un modèle différent, différenciant, durable et partagé par toutes et tous ; avec une pierre angulaire qui ne saurait être autre chose qu’un nouveau modèle pédagogique et expérientiel.
Ce modèle doit intégrer la dématérialisation de nos contenus ; pour les rendre accessibles au plus grand nombre, en respect de la multitude des lieux et des temporalités qui offrent l’opportunité d’apprendre et d’acquérir des connaissances nouvelles. Il doit également s’approprier le fait que dans la gamme de connaissances que doit assimiler un apprenant, celui-ci doit en apprendre par lui-même une partie ; que nous devons ensuite lui apprendre une autre partie dans le cadre de parcours académiques reposant sur le mapping des compétences et des connaissances à acquérir, la progression de cet apprentissage, et ses objectifs.
Enfin, il y a ce que l’apprenant doit acquérir par la pratique et l’expérience ; en faisant.
Faire, et ce faisant, se faire.
L’enjeu est par conséquent de définir avec la plus grande finesse et ambition, quelles sont ces connaissances et ces compétences – actives ou activables – dont doivent disposer nos apprenants.
C’est d’ailleurs ce qui fonde la complémentarité entre le module pédagogique – ce que l’on apprend de manière synchrone ou asynchrone, qui implique une présence physique ou l’accès à des contenus dématérialisés - et le module expérientiel – qui se vit, ne s’apprend pas forcément, mais génère une richesse d’enseignements pour l’apprenant tant sur l’aller-retour entre la théorie, les concepts, les notions, les outils et la pratique qui pour sa part, ne se dématérialise pas.
Le module est donc le plus petit dénominateur commun qui va nous intéresser. En effet, chaque module apporte des éléments de réponse participant à la construction des profils de nos apprenants. Et c’est justement dans la combinaison de ces modules que se façonnent ces différents profils ainsi que nos différents diplômes. Les modules, à plusieurs, deviennent des blocs, qui eux-mêmes à plusieurs deviennent des parcours diplômants, certifiants ou à tout le moins porteurs d’un ensemble de promesses visant à enrichir le capital humain de l’apprenant.
Des promesses d’ordres différents :
- Une promesse académique associée à des objectifs d’apprentissage, les ILOs par exemple ;
- Une promesse compétentielle active ou activable dès lors qu’on l’associe à la pratique ;
- Une promesse éthique avec du contenu permettant d’adresser les grands challenges économiques, sociaux, environnementaux ou climatiques de l’Humanité ;
- Une promesse de certification autonome, « preuve » de l’acquisition du module.
Cette conception du module en tant que brique unitaire d’enseignement autonome permet la construction infinie de parcours, jeu de leur combinaison.
Combinaison au sein de blocs construisant des parcours normés diplômant, unité(s) ou combinaison(s) répondant à des attentes ponctuelles ou personnalisées. Chacun construit son parcours en fonction de ses attentes et de ses objectifs, qu’ils soient diplômants, certifiants, ou pas.
Nos cibles s’élargissent alors, les temporalités entre la formation initiale et continue s’effacent. Et notre expertise de l’accompagnement des apprenants se multiplie par le conseil, la participation active dans la co-construction de chaque parcours de l’apprenant. Expertise qui ne saurait faire l’économie d’un système apprenant, tant la complexité induite par les possibilités de combinaison nécessite de rendre exponentiel nos capacités à personnaliser les parcours et les réponses aux attentes dans toute leur diversité. Bienvenue dans un monde « adaptive ».
A terme, l’objectif est de permettre à chaque personne d’accéder au contenu d’enseignement, de formation, et de reconnaissance qu’il envisage.
Parce que cela répond à son projet. Parce que cela répond à des attentes. Parce que c’est le meilleur moyen pour adresser un problème. Et nous devenons alors des guides dans la réalisation des ambitions et la résolution des problèmes qui comptent pour nos apprenants, quels qu’ils soient.
Encore une fois, la dématérialisation de nos contenus, à partir de la brique unitaire module – le « unbundling » si cher à des modèles comme Spotify, Deezer, ou encore Netflix, et qui a profondément transformé l’industrie musicale au début des années 2000 – rend infinie nos possibilités. Elle élargit sans commune mesure les cibles d’apprenants que nous pouvons atteindre : les étudiants tels que nous les connaissons, mais également tous les salariés d’entreprises, nos alumni, les internationaux quelle que soit leur localisation, etc.
Ainsi, on peut imaginer que les modules de base des grandes disciplines de gestion puissent être proposés dans une version asynchrone, bien scénarisée et nourrie par l’interactivité d’exemples et d’exercices. Dès lors la valeur ajoutée du face-à-face pédagogique ou expérientiel se déplace vers l’activation des compétences et la mise en pratique des connaissances. Ce que fut en son temps la méthode des cas initiée à Harvard ou encore le restaurant d’application de l’Ecole Hôtelière ; Mais cette fois 4.0.
L’asynchrone s’inscrit en outre dans le respect du rythme biologique de l’apprenant et de sa gestion propre de ses temporalités.
Il est disponible au moment opportun pour chacun et aura la durée nécessaire à chacun (certains iront très vite, d’autres plus lentement). En outre, il pourra être administré à volonté ; à coût marginal 0. Le déploiement d’un tel catalogue reposera tout autant sur l’expertise pédagogique des enseignants que sur des compétences nouvelles permettant d’assurer une ingénierie pédagogique de très haut niveau, adaptée aux enseignements dématérialisés et asynchrones d’une part, et techniquement pérenne, d’autre part.
Dans cette perspective le rôle du professeur évolue.
Elle renforce son rôle d’architecte de contenus et de compétences, avec un panel de modalités pédagogiques. Plus que jamais, il est le garant du contenu et des compétences développées dont il choisit d’orchestrer acquisition et mise en œuvre à partir de modalités pédagogiques, expérientielles, spatiales, temporelles qui lui sont propres et qu’il expertise comme optimales.
Il est un connecteur de l’apprenant avec les objectifs de son projet et un facilitateur de l’enrichissement de son capital humain, car il est à la fois, expert de son domaine au travers de ses travaux de recherche, designer de contenus et architecte de compétences, mais aussi, mentor d’expériences formatives avec un rôle important dans le feedback, la prise de recul et de hauteur, de débriefing.
Tout comme la théorie se doit d’être éprouvée par l’empirie, la vision présentée ici de ce que pourrait être un « next normal » de l’enseignement supérieur en management doit pouvoir se traduire par une mise en œuvre opérationnelle.
Dans un premier temps, il convient d’envisager la création d’une Direction de l’Expérientiel Apprenant regroupant tout ce qui a trait à l’expérience étudiants. Elle serait le symétrique expérientiel du Décanat, de ses Pôles et de sa Faculté avec comme objectifs de dispenser et d’imaginer des dispositifs expérientiels adossés à l’architecture des contenus et des compétences.
Quel dispositif permet une acquisition réussie d’une compétence en particulier ?
Quelles actions correctives sur le dispositif permettraient une acquisition accrue ?
Quel nouveau dispositif devons-nous mettre en œuvre pour garantir l’acquisition d’une compétence attendue par nos parties prenantes entreprises ?
C’est donc, la mise en œuvre d’un système apprenant, avec le renfort d’algorithmes de traitement et de solutions IA, à partir de la « traque », l’ensemble des « traces » que laissent ces expériences dans leur participation à l’acquisition des compétences par les apprenants, qui en constituerait l’élément fondateur.
Ces expériences existent déjà : Humacité©, Climacité©, les stages, l’alternance, l’international, la vie associative, etc.
Autant d’expériences qui laissent de précieux « insights » pouvant s’intégrer dans des démarches d’amélioration et d’innovation continues pour toujours mieux inspirer et profiler nos apprenants. De la gestion de big data oui, mais de la big data au service d’un système apprenant relié d’une part à une expertise sur la co-construction de parcours pour l’apprenant et d’autre part à la création d’un observatoire des compétences et des métiers ; pour répondre aux attentes actuelles, et futures des entreprises en termes de compétences ; pour entrer dans des boucles itératives d’apprentissage nous permettant de garantir encore et toujours la promesse d’employabilité durable tenue à nos apprenants.
Ainsi, les programmes en charge du curriculum delivery travailleraient de manière concomitante avec la Faculté et la Direction Expérientielle pour co- designer les parcours, tant d’un point de vue académique, pour la première, qu’expérientiel, pour la seconde, afin de nourrir, leur cahier de charge et de le mettre en œuvre dans une optique d’excellence de la qualité pédagogique et de la satisfaction des apprenants en particulier, mais de l’ensemble de nos parties prenantes en général.
Ce projet est ambitieux et enthousiasmant. Il nous demandera beaucoup de travail, d’agilité et d’intelligence collective.