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Apprendre à IA-pprendre

Pédagogie
Thomas PETIT, Ingénieur pédagogique le 07 mai 2024
Apprendre à IA-pprendre

Fin 2022, la vague ChatGPT déferlait sur l’enseignement supérieur, sur le globe, même, sous toutes ses facettes ou presque. Avec elle, entre inquiétude et ferveur, c’est une réflexion profonde sur la place de l’intelligence artificielle (IA) générative dans nos vies qui a fait surface. Avec des chamboulements annoncés comme les plus importants depuis l’avènement d’Internet ou du web 2.0, touchant notre rapport éthique et authentique à la création et à l’interaction humaine. Ces réflexions animent plus que jamais le monde éducatif en ce début d’année 2024. Mais, soyons honnêtes, l’IA générative ne fait que s’inscrire dans un leitmotiv bien connu : il nous faut repenser nos méthodes d’enseignement et d’évaluation.

Il y a quelques temps déjà, on avait redouté les effets de Wikipédia, des traducteurs automatiques ou encore des calculatrices sur la tricherie et la paresse intellectuelle. Presque rien de nouveau, mise à part l’urgence désormais presque injonctive à agir, voire à légiférer. Il est donc question, dans le fond, d’une crise de confiance connue. Celle portée à l’authenticité et à la véracité des preuves d’apprentissage fournies par les apprenants. Les contenus évalués sont-ils créés par elles et eux, ou bien générés par une IA ? Y a-t-il un seuil de tolérance, qualitatif ou quantitatif, acceptable ? A ces interrogations, le monde éducatif essaie tant bien que mal d’apporter des réponses : évolution des outils détecteurs de plagiat, adaptation des politiques académiques et règlements des études, entre autres. Des (ré)actions préventives, a minima. Dissuasives, dans l’idéal. Palliatives, dans tous les cas.


La racine du problème ne serait-elle pas plus profonde ?

Ce que l’IA générative met au défi, aujourd’hui encore plus qu’hier, c’est l’acte d’apprendre. Le désir d’apprendre même. Et les moyens que l’on se donne pour le cultiver et le susciter. Car s’il y a bien une chose qu’aucune machine ne peut faire pour nous et à notre place, c’est apprendre. Je parle ici des apprentissages qui nous appartiennent et nous définissent. Ceux que nous construisons autant qu’ils nous construisent. Qui font de nous des êtres singuliers. Ceux qui mobilisent les talents de notre cerveau, pour faire écho aux travaux de Stanislas Dehaene (2018) 1 . Or abuser des IA génératives ne serait-ce pas se priver, justement, d’opportunités d’apprendre et de nous construire ? Presque un comble dans l’enseignement supérieur, si l’on considère qu’apprendre est le cœur même du métier d’étudiante. En octobre dernier, c’est dans cet esprit qu’a été proposé aux étudiantes de BBA 1 l’atelier « Utiliser l’IA pendant ses études : opportunités et responsabilité ». Celui-ci visait à leur permettre de distinguer les bénéfices et les risques liés à l’utilisation d’IA génératives pendant leurs études et, aussi et surtout, de réfléchir de manière critique à leur propre processus d'apprentissage en des temps où les IA sont et seront de plus en plus présentes.

Au menu : des battles pour développer des arguments critiques, des exemples inspirants d’utilisation de l’IA présentés par des étudiantes de BBA 2, et une question fondamentale : comment apprenons-nous ? Afin d’y apporter de premiers éléments de réponse dans le temps imparti, nous avons initié l’exploration de l’univers de l’apprendre : les 4 piliers de l’apprentissage mis en lumière par Dehaene et le pouvoir des connexions neuronales et la neuroplasticité si bien narré par Steve Masson. A l’issue des deux heures d’atelier, quelques engagements symboliques ont été pris par les étudiants pour une utilisation éthique des IA génératives pendant leurs études.
 

  • « L’utiliser pour des travaux sans conséquences »,
  • « de façon modérée » et « à bon escient »,
  • « ne pas en avoir une utilisation abusive et trop fréquente »
  • et, le presque inévitable « ne pas l’utiliser pour tricher ».


    Des engagements, on se l’est dit, qui pourront être mis à l’épreuve de multiples tentations : situations de stress, peur de l’erreur et de l’échec, échéances multiples, pression de la note, manque d’intérêt, entre autres. Des motifs de recours aux IA génératives, il y en a une myriade. En tant qu’agents conversationnels, n’oublions pas que le premier terrain sur lequel elles viennent nous challenger est linguistique. Elles nous renvoient à une réalité constatée au sein des nouvelles générations et regrettée, elle aussi, depuis plusieurs années : la disparité de nos capacités à nous exprimer. Ces IA, tant leur qualité d’expression répond à des standards de haut niveau – grammaticaux, syntaxiques et lexicaux notamment – peuvent non seulement venir combler un manque de compétence linguistique, réel ou ressenti, mais aussi donner l’illusion d’exercer un pouvoir jusqu’alors inaccessible ou confisqué. Les réflexions de Pierre Bourdieu sur l’économie des échanges linguistiques prennent, en cette époque, une saveur particulière : « La langue n’est pas seulement un instrument de communication ou même de connaissance mais un instrument de pouvoir. On ne cherche pas seulement à être compris mais aussi à être cru, obéi, respecté, distingué. De là, la définition complète de la compétence comme droit à la parole, c’est-à-dire au langage légitime, comme langage autorisé, comme langage d’autorité. » (1977, p. 20).
Et, pour finir, souvenons-nous qu’apprendre demande du temps. Le temps, autre instrument de pouvoir ? Ecrire un texte comme celui-ci nécessite un temps de construction, de formalisation, de mise en idées et en mots. Quelques prompts adressés à ChatGPT auraient pu permettre d’en générer un autre plus rapidement avec une qualité linguistiquement comparable. Au lieu de cela, quel plaisir que de l’écrire pour élaborer ma pensée, développer mon raisonnement, me replonger dans des lectures anciennes et saisir et honorer cette opportunité du droit à la parole. En ce début de nouvelle année, souhaitons-nous, à Excelia comme ailleurs, de continuer à cultiver et susciter, en nous, nos étudiantes, nos proches, le plaisir et le désir d’apprendre, de créer, de nous exprimer et de nous singulariser.

 

Bibliographie

Dehaene, S. (2018). Apprendre ! les talents du cerveau, le défi des machines. Odile Jacob Bourdieu, P. (1977). L'économie des échanges linguistiques. Langue française (34), 17-34. https://doi.org/10.3406/lfr.1977.4815 Masson, S. (2020). Activer ses neurones pour mieux apprendre et enseigner. Odile Jacob

 

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