L’IA et la performance managériale ; pur accessoire, corrélation à démontrer, ou véritable révolution ?
1. État de l’Art ; l’IA, l’inéluctable nouvelle composante
Si, pendant presqu’un siècle, les rôles managériaux traditionnels n’ont guère évolué (Fayol, 1916 ; Gentry et al. 2008), par le truchement de nouveaux entrants, la complexité des compétences managériales en entreprise s’est exponentiellement accrue.
Parmi ces bouleversements, le champ académique s’accorde à reconnaitre pour grande révolution industrielle, l’intronisation de l’Intelligence Artificielle (IA). Aujourd'hui, certains chercheurs estiment qu’elle est d’une omniscience telle, qu’elle est en passe de subroger de nombreuses compétences managériales (Huang & Rust, 2018), sinon de les augmenter (Lichtenthaler, 2018).
L’IA ne manque pas de définitions données par le champ académique, nous retiendrons ici une définition simple et générique : « l’apprentissage automatique, la robotique, la vision par ordinateur, le raisonnement automatisé, la perception de la machine et la représentation des connaissances » (Marsh, 2013 ; Tractica, 2017 ; Mehta & Devarakonda, 2018).
D’abord simple branche de l’informatique (Rhines, 1985), on la juge désormais capable d’assimiler les capacités cognitives de l’être humain (Muller & Bostrom, 2016 ; Grace et al. 2018).
De fait, pour les chefs d’entreprise, l’IA « changera de manière significative la façon dont ils exercent leurs activités au cours des cinq prochaines années » (Salzman, 2019). Propulsé récemment, depuis le 30 novembre 2022, ChatGPT, l’agent conversationnel développé par OpenAI, fait couler énormément d’encre pour son immense potentiel à repenser toutes les structures existantes. Le robot conversationnel a vu la vitesse de son développement et de sa diffusion exponentiellement croitre pour atteindre, en quatre mois, plus de 100 millions d’utilisateurs dans le monde. Sa présence subite dans nos quotidiens révolutionne nos usages, telle que, même les appareils d’État lui octroient des considérations d’ordre public1 .
2. IA & Management : L’enfer est-il pavé de bonnes intentions ?
Si les contempteurs de l’IA ont bon dos, il conviendrait de s’attabler autour de cette épineuse question, et d’y apporter la réponse la plus objective possible. Avant même l’intronisation de l’IA au sein de tous nos outils numériques, les ERP ont permis une certaine rationalisation des tâches et une modélisation centralisatrice des données (data). Pourtant, de nombreux employés avancent une vision industrialiste de cette transformation ; contre l’optimisation vendue par les thuriféraires du tout-numérique, ces premiers y opposent le renforcement du pouvoir de contrôle octroyé par l’IA, au crédit de la direction.
Aux doutes possiblement émis sur l’IA, certains y répondent avec force et constance en soulignant sa réelle capacité d’« amplification symbiotique » (Zacklad, 2020). Le transhumanisme est à l’humain ce que l’IA serait aux performances managériales de demain et – déjà – d’aujourd’hui. Les CODIR et autres consorts dont l’influence est décisionnelle doivent continuellement s’assurer que l’IA soit au service de la montée en compétences de leurs salariés, ainsi que du déploiement de leur taux d’engagement, et non l’inverse. Cette révolution technologique, si l’on veut la rendre la plus efficiente possible, implique nécessairement d’insuffler une évolution drastique des pratiques managériales. En d’autres termes, les managers doivent « favoriser l’intégration effective du travail dans les modes d’organisation et le fonctionnement global de l’entreprise » (Zacklad, 2020) ; ce qui ne semble pas chose si aisée lorsque plus de 40 % des salariés se déclarent préoccupés par la peur de perte du contact humain (Maud Kenigswald pour Le Figaro, février 2023) 3 .
3. Stratégie d’entreprise et encadrement managérial 2.0 : l’IA en terre redécouverte.
Selon de nombreuses études produites par le champ de la recherche académique, les compétences managériales ont connu, par l’IA, en l’espace d’une décennie, une véritable révolution. Certaines compétences sont vouées à ne littéralement plus être le fait d’êtres humains, telles que la collecte d’information ou la prise de décision managériale simple. D’autres, qui font partie du quotidien de tout employé, sont vouées à être instamment remplacées, telles que les tâches répétitives, régulières ou routinières (Kolbjornsrud, Amico & Thomas, 2016 ; Decker et al. 2017). Quant aux compétences qui ne seraient pas substituées par l’IA, elles en seraient nécessairement augmentées, telles que les actions, les prises de décisions complexes, l’innovation, la sélection du collaborateur, la gestion du temps, de la pression ainsi que la communication (Giraud, Hernandez, Autissier, McGonigal, 2021).
Fort heureusement, diront les Girondins à l’ère de la pleine numérisation des espaces, la créativité et le leadership, compétences clés de la stratégie d’entreprise et de la performance managériale, sont les moins enclins à être affectés par l’IA (Plastino & Purdy, 2018). En revanche, l’IA peut se targuer d’être le meilleur collaborateur de tous les collaborateurs, dans la mesure où elle leur permettrait d’investir pleinement sur leur cœur de métier, sans avoir à se soucier des tâches superfétatoires (Hagemann et al. 2019). Toute entreprise doit toutefois pouvoir, au sein de sa stratégie globale, faire appliquer le rôle clé du manager à maximiser l’efficacité et l’efficience de l’IA au service de ses collaborateurs.
À la problématique de savoir si l’IA, sur le vaste territoire de la performance en entreprise, est un simple accessoire, une corrélation à démontrer ou une véritable révolution, aucune de ces propositions ne fait unanimement autorité. « Le manichéisme en histoire est une sottise » (Michel Quint, 2003), de la même manière que le manichéisme pourrait être l’histoire de toute une sottise ; l’IA est à la fois un accessoire, une corrélation à démontrer et une véritable révolution. Sa vertu dépend de ce à quoi elle a été programmée pour rendre service.
Ces tendances observées ouvriraient la voie à une certaine économie de l’émotion, et dans laquelle « l’IA prendrait en charge une grande partie des tâches analytiques et de réflexion pour permettre aux collaborateurs de graviter davantage autour de tâches interpersonnelles et empathiques » (Huang et al., 2019, p. 43). Or, les intelligences sociale et émotionnelle ne sont-elles pas, bien au-delà de tout algorithme, les véritables nouvelles performances managériales ?
- Webographie
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4 - WOITIER C., (20/02/2023), Laurent Solly (Meta) : « Nous sommes entrés dans un grand cycle de rupture technologique avec l’IA et le métavers », Le Figaro. Consulté sur : https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/laurent-solly-nous-sommes-entres-dans-ungrand-cycle-de-rupture-technologique-20230219
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