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L’IA et la performance managériale

Management
Par Samuel BLANC, étudiant MSc2 Entrepreneuriat & Business Innovation le 20 juin 2023
IA et performance managériale

L’IA et la performance managériale ; pur accessoire, corrélation à démontrer, ou véritable révolution ?

1. État de l’Art ; l’IA, l’inéluctable nouvelle composante

Si, pendant presqu’un siècle, les rôles managériaux traditionnels n’ont guère évolué (Fayol, 1916 ; Gentry et al. 2008), par le truchement de nouveaux entrants, la complexité des compétences managériales en entreprise s’est exponentiellement accrue.

Parmi ces bouleversements, le champ académique s’accorde à reconnaitre pour grande révolution industrielle, l’intronisation de l’Intelligence Artificielle (IA). Aujourd'hui, certains chercheurs estiment qu’elle est d’une omniscience telle, qu’elle est en passe de subroger de nombreuses compétences managériales (Huang & Rust, 2018), sinon de les augmenter (Lichtenthaler, 2018).

L’IA ne manque pas de définitions données par le champ académique, nous retiendrons ici une définition simple et générique : « l’apprentissage automatique, la robotique, la vision par ordinateur, le raisonnement automatisé, la perception de la machine et la représentation des connaissances » (Marsh, 2013 ; Tractica, 2017 ; Mehta & Devarakonda, 2018).

D’abord simple branche de l’informatique (Rhines, 1985), on la juge désormais capable d’assimiler les capacités cognitives de l’être humain (Muller & Bostrom, 2016 ; Grace et al. 2018).

chat GPT

De fait, pour les chefs d’entreprise, l’IA « changera de manière significative la façon dont ils exercent leurs activités au cours des cinq prochaines années » (Salzman, 2019). Propulsé récemment, depuis le 30 novembre 2022, ChatGPT, l’agent conversationnel développé par OpenAI, fait couler énormément d’encre pour son immense potentiel à repenser toutes les structures existantes. Le robot conversationnel a vu la vitesse de son développement et de sa diffusion exponentiellement croitre pour atteindre, en quatre mois, plus de 100 millions d’utilisateurs dans le monde. Sa présence subite dans nos quotidiens révolutionne nos usages, telle que, même les appareils d’État lui octroient des considérations d’ordre public1 .

 

Du point de vue des entreprises, il est évident que l’un des défis les plus fondamentaux qui se pose aux organisations est celui de la vitesse, elle aussi exponentielle du changement, et induite par la numérisation hier et par l’IA aujourd'hui (Rayasa & Sevinj, 2020). Or, si l’intronisation de l’IA, telle que ChatGPT, offre un taux de réussite supérieur en gestion de projet (Nobre, 2020), celle-ci manifeste des limites lorsqu’il s’agit de justifier ou d’expliquer une décision prise par des algorithmes, et induire de ce fait un manque de confiance managériale (Jacob, Souissi, Trudel, 2021)

 

2. IA & Management : L’enfer est-il pavé de bonnes intentions ?

« Nos professions vont-elles se cantonner à des postes de surveillant d’IA plus ou moins complexes ? », s’interroge Murielle Popa-Fabre, consultante en IA au Conseil de l’Europe, autrefois chercheuse au Collège de France et à l’INRA 2 . D’autres, comme Pierre Levy, philosophe, opposent nécessairement l’IA et l’intelligence collective. Le numérique étant désormais devenu capacitant, est-il le nouveau et dangereux substitutif des compétences humaines ? Notre unicité et notre singularité professionnelles se sont-elles désacralisées corrélativement à l’implantation de l’IA au sein de nos open spaces ?

Si les contempteurs de l’IA ont bon dos, il conviendrait de s’attabler autour de cette épineuse question, et d’y apporter la réponse la plus objective possible. Avant même l’intronisation de l’IA au sein de tous nos outils numériques, les ERP ont permis une certaine rationalisation des tâches et une modélisation centralisatrice des données (data). Pourtant, de nombreux employés avancent une vision industrialiste de cette transformation ; contre l’optimisation vendue par les thuriféraires du tout-numérique, ces premiers y opposent le renforcement du pouvoir de contrôle octroyé par l’IA, au crédit de la direction.

IA ExceliaAux doutes possiblement émis sur l’IA, certains y répondent avec force et constance en soulignant sa réelle capacité d’« amplification symbiotique » (Zacklad, 2020). Le transhumanisme est à l’humain ce que l’IA serait aux performances managériales de demain et – déjà – d’aujourd’hui. Les CODIR et autres consorts dont l’influence est décisionnelle doivent continuellement s’assurer que l’IA soit au service de la montée en compétences de leurs salariés, ainsi que du déploiement de leur taux d’engagement, et non l’inverse. Cette révolution technologique, si l’on veut la rendre la plus efficiente possible, implique nécessairement d’insuffler une évolution drastique des pratiques managériales. En d’autres termes, les managers doivent « favoriser l’intégration effective du travail dans les modes d’organisation et le fonctionnement global de l’entreprise » (Zacklad, 2020) ; ce qui ne semble pas chose si aisée lorsque plus de 40 % des salariés se déclarent préoccupés par la peur de perte du contact humain (Maud Kenigswald pour Le Figaro, février 2023) 3 .

A la question donc, de savoir si l’IA et la performance en entreprise se corrèlent à ce que l’enfer est pavé de bonnes intentions, on pourrait répondre selon le vieux proverbe français que « Porte fermée, le diable s’en va ». Comprenons que face à la sacralisation si soudaine d’un tel phénomène technologique, et même sociétal, il existe des cadres théoriques visant à se protéger contre les abus et palier les critiques de l’IA par des « configurations dialogiques homme-machine » (Poitou (2022), cité par Paraponaris, 2022). Contre la puissance du tout-numérique prônée par les uns, et la froideur du rien d’humain pesté par les autres, il existe, intercalée entre les deux, la possibilité d’une solution capable de « collectiviser les connaissances, capitaliser les expériences, amplifier l’efficience des savoirs de l’entreprise grâce à l’amélioration et l’informatisation des pratiques observées dans l’entreprise » (Poitou (2022), cité par Paraponaris, 2022).

3. Stratégie d’entreprise et encadrement managérial 2.0 : l’IA en terre redécouverte.

D’aucuns prétendent « que nous sommes entrés dans un nouveau grand cycle de rupture technologique avec l’IA » (Woitier pour le Figaro, février 2023) 4 , et dont la tête de proue peut être Laurent Solly, vice-président Europe du Sud de Méta. Toutes les sphères observatrices, activement actrices ou passivement témoins, constatent la révolution d’un territoire naguère découvert, longtemps acquis, celui du management en entreprise, et désormais placé sous la férule de l’IA.

Selon de nombreuses études produites par le champ de la recherche académique, les compétences managériales ont connu, par l’IA, en l’espace d’une décennie, une véritable révolution. Certaines compétences sont vouées à ne littéralement plus être le fait d’êtres humains, telles que la collecte d’information ou la prise de décision managériale simple. D’autres, qui font partie du quotidien de tout employé, sont vouées à être instamment remplacées, telles que les tâches répétitives, régulières ou routinières (Kolbjornsrud, Amico & Thomas, 2016 ; Decker et al. 2017). Quant aux compétences qui ne seraient pas substituées par l’IA, elles en seraient nécessairement augmentées, telles que les actions, les prises de décisions complexes, l’innovation, la sélection du collaborateur, la gestion du temps, de la pression ainsi que la communication (Giraud, Hernandez, Autissier, McGonigal, 2021).

Fort heureusement, diront les Girondins à l’ère de la pleine numérisation des espaces, la créativité et le leadership, compétences clés de la stratégie d’entreprise et de la performance managériale, sont les moins enclins à être affectés par l’IA (Plastino & Purdy, 2018). En revanche, l’IA peut se targuer d’être le meilleur collaborateur de tous les collaborateurs, dans la mesure où elle leur permettrait d’investir pleinement sur leur cœur de métier, sans avoir à se soucier des tâches superfétatoires (Hagemann et al. 2019). Toute entreprise doit toutefois pouvoir, au sein de sa stratégie globale, faire appliquer le rôle clé du manager à maximiser l’efficacité et l’efficience de l’IA au service de ses collaborateurs.

À la problématique de savoir si l’IA, sur le vaste territoire de la performance en entreprise, est un simple accessoire, une corrélation à démontrer ou une véritable révolution, aucune de ces propositions ne fait unanimement autorité. « Le manichéisme en histoire est une sottise » (Michel Quint, 2003), de la même manière que le manichéisme pourrait être l’histoire de toute une sottise ; l’IA est à la fois un accessoire, une corrélation à démontrer et une véritable révolution. Sa vertu dépend de ce à quoi elle a été programmée pour rendre service.

Retenons une chose fondamentale: l’intronisation de l’IA en entreprise est nécessairement associée à une solide consolidation des compétences managériales non techniques, telles que l’éthique, la capacité à prendre des risques et la prise de décision.

Ces tendances observées ouvriraient la voie à une certaine économie de l’émotion, et dans laquelle « l’IA prendrait en charge une grande partie des tâches analytiques et de réflexion pour permettre aux collaborateurs de graviter davantage autour de tâches interpersonnelles et empathiques » (Huang et al., 2019, p. 43). Or, les intelligences sociale et émotionnelle ne sont-elles pas, bien au-delà de tout algorithme, les véritables nouvelles performances managériales ?

Webographie

1 - NISHIMURA, K (14/04/2023) « Au japon, l’étonnante fascination du gouvernement pour ChatGPT » pour Le Point. Consulté sur : https://www.lepoint.fr/monde/au-japon-l-etonnante-fascination-du-gouvernement-pour-chatgpt-14-04-2023- 2516311_24.php#11

2 - POPA-FABRE M, (05/12/2022) « Neuralink : quelle éthique face au projet d’Elon Musk de connecter le cerveau ? », pour Le Figaro. Consulté sur : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/neuralink-quelle-ethique-face-au-projet-d-elon-musk-de-connecter-lecerveau-20221205

3 - KENIGSWALD M., (28/02/2023), « ChatGPT : le logiciel menace-t-il votre poste ou votre carrière ? », Le Figaro. Consulté sur : https://emploi.lefigaro.fr/carriere-remuneration/chatgpt-le-logiciel-menace-t-il-votre-poste-ou-votre-carriere-20230228

4 - WOITIER C., (20/02/2023), Laurent Solly (Meta) : « Nous sommes entrés dans un grand cycle de rupture technologique avec l’IA et le métavers », Le Figaro. Consulté sur : https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/laurent-solly-nous-sommes-entres-dans-ungrand-cycle-de-rupture-technologique-20230219

Bibliographie 1/2

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Bibliographie (2/2)

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